Rentrée de prof
Prof : On a peur aussi !
On a peur aussi !
Vous êtes là devant moi avec toutes les questions que vous n’osez pas poser. Vous pensez que je vais répondre à ces questions, avant même que vous me les posiez.
Parce que moi je sais.
Vous êtes là avec un mélange de confiance à mon égard et de méfiance quand même. Après tout, qui suis-je pour mériter cette confiance ?
Oui j’ai le diplôme, oui j’ai l’expérience. Mais quand même… Vous me remettez vos enfants. Autant dire que vous me déposez dans les mains vos espoirs, mais aussi vos attentes, vos angoisses et vos doutes.
Et vos a priori, on ne va pas se mentir.
Elle est vraiment bien cette prof ?
Alors je fais le boulot : présentation de l’année, OK.
Rappel du matériel nécessaire, OK.
Annonce des méthodes de travail, du rythme des évaluations.
Et je rassure : tout semble bien lancé pour la classe, l’ambiance est bonne, la participation aussi. Nous connaissons déjà bien les élèves.
Et je nuance : les enfants, même (et surtout ! ) s’ils vous disent qu’ils sont autonomes, ont besoin de vous… Alors accompagnez-les pour le cartable, pour les devoirs, l’organisation.
En gros, n’attendez pas tout de nous, de moi quoi.
Ça me fait peur.
J’ai l’expérience, d’accord.
J’en ai accompagné des petits élèves, d’accord.
Mais à chaque fois c’est nouveau quand même. Parce que vous êtes de nouveaux visages pour moi, parce que vos attentes sans cesse renouvelées, c’est tellement lourd. Parce que vos regards en attente de promesses, je ne m’y habitue pas.
Parce que je sais
Je sais que notre système va un peu dans le mur, que nos exigences sont ridicules par rapport à la réalité de la vie, ou plutôt des vies. On ne peut pas faire entrer tout le monde dans des cases, et on vous assure que non, ce n’est pas du tout comme cela que l’on fonctionne…
Mais dans les faits, si. Un peu quand même.
Il faut bien rentrer dans les cases que nous impose un système qu’on ne cautionne pas forcément.
Alors oui, je m’écarterai de temps en temps des cases…
Oui il y aura des heures où nous ferons peu de français parce qu’il y aura une urgence « vie réelle » à régler.
Ou alors on sera tous tellement fatigués que je lirai dans leurs regards qu’ils ont juste envie que je leur raconte une histoire.
Pour échapper aux cases. Pour échapper aux attentes dans vos yeux.
S’adapter à la réalité
Quoi qu’on vous dise, quoi qu’on vous annonce, l’école, c’est surtout s’adapter à la réalité : le vivant que l’on a en face de nous, ce n’est jamais le même d’une année sur l’autre… Alors que les programmes, globalement, ce sont toujours les mêmes.
Moi aussi j’ai peur, mais j’espère que mon sourire ne vous le raconte pas.
Dans la salle à côté, il y a le papa de mes enfants. Et il regarde ma collègue faire le même sourire que le mien pour le rassurer.